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Il y a-t-il un bachelier scientifique à la rédaction de Canal+ ?
mercredi 13 mai 2015, par
Le journaliste Jean Baptiste Renaud dans un reportage diffusé sur la chaîne Canal+ le 4 mai 2015, prétend démontrer, en montant un soi-disant scandale, que le nucléaire ment. Pour cela, traitant d’un sujet qu’il ne comprend pas, il sort quelques phrases de leurs contextes. Hors de toute compétence, il laisse la parole à des organisations antinucléaires qu’il présentent comme indépendantes et surtout ne fait pas vérifier leurs propos.
Le faux scoop
On commence par ressortir des informations que l’on pouvait trouver sur wikipedia : les accidents des réacteurs de Saint-Laurent des eaux. Ces réacteurs n’ont rien à voir avec la technologie du parc français d’aujourd’hui, mais chut…, ça pourrait rassurer…On questionne des retraités en bonne santé et l’un d’eux révèle que l’on a relâché dans la Loire des émetteurs alpha. Dans un combustible usé, les noyaux de plutonium sont en effet les principaux émetteurs alpha , le documentaire en déduit que l’on a relâché du plutonium dans la Loire. Mais n’est pas Bob Woodward qui veut, avant de lancer une nouvelle, il faudrait déjà comprendre que l’on vit au milieu des émetteurs alpha, que sont l’uranium et le thorium dans le sol et leurs descendants gazeux comme le radon. Seule une information quantitative aurait une signification :

Reprenons l’accident : 20 kilogrammes de combustible ont fondu, c’est un petit corium et il contient de l’ordre de 1% de plutonium. La majorité du plutonium est resté dans la lave radioactive, mais avec un combustible métallique, on peut imaginer qu’une faible partie se soit dispersé sous forme d’aérosols. Dans la suite on supposera que tout le plutonium des deux assemblages aurait été dispersé dans la Loire, ce qui nous fait de l’ordre de 10p12 becquerels. On se ramène à un kilogramme de matière : dans le sol l’activité alpha de l’uranium est de l’ordre de 70 becquerels par kilogramme, dans l’air l’activité du radon est du même ordre de grandeur. Si on imagine porter l’activité de la Loire au niveau de l’environnement extérieur, il faudrait 10p10 litres, comme le débit de la Loire est de 10p6 litres par seconde, la perturbation aura duré 10 000 secondes soit ... 3 heures. Jean Baptiste Renaud rencontre Marcel Boiteux, le père du programme nucléaire français. C’est l’homme qui nous a débarrassé de ce type de réacteur ; un journaliste un peu honnête aurait dû le remercier. Mais tout ce qu’on retient de ce grand homme , c’est qu’il aurait menti ; alors que comme on vient de le voir le relâchement de radioactivité a été négligeable. Et amalgamer la communication des autorités publiques de 1969 ou 1980 avec celle de 2015 ne parait pas tout à fait honnête.
La piscine d’Atomic Anne
Il s’agit de reprendre une phrase hors de son contexte , lorsque Anne Lauvergeon indique que les déchets représentent un piscine olympique, il s’agit des déchets vitrifiés qui concentrent la radioactivité, c’est à dire les produits fission et les actinides mineurs. Il sont conditionnés proprement dans des futs comme celui-ci.

Pour le reste on laisse reposer quelques tas de matières en surface qui ne perturbent pas la radioactivité naturelle. Par comparaison, lorsqu’on fait brûler de la biomasse, il faut gérer les cendres ; lorsqu’on construit une éolienne, il faut se débarrasser des pâles, gérer le béton de démantèlement ; la fabrication du photovoltaïque nécessite d’extraire du charbon, de l’argent donc encore plus de stériles par rapport à la l’énergie produite. L’accusation de mensonge est donc non fondée : les déchets spécifiques au nucléaire, haute activité à vie longue, sont bien restreints à une piscine olympique ; les autres déchets sont comparables aux autres industries.
L’habituelle mesure de radioactivité devant les caméras
Ensuite commence la manipulation habituelle. Il s’agit de présenter devant la caméra des radioéléments différents de ceux qui sont responsables de l’irradiation moyenne, on présente des mesures sans échelle de référence, ce qui n’a pas aucun sens. Les antinucléaires de l’ACRO emmène donc notre journaliste vers un lieu très probablement choisi pour sa radioactivité maximale : on évoque « 500 becquerels par litre d’eau » pour une source pas loin du site. Considérons le cas le plus défavorable, si on s’alimente uniquement de cette eau , notre corps émettrait 30 000 becquerels d’énergie moyenne 5,7 keV, or notre corps émet habituellement 4000 becquerels de carbone 14 de 50 keV. On voit que l’impact serait équivalent, pourtant le carbone 14 est un contributeur marginal à la dose de radiation que nous recevons. . Le crépitement sonore, diffusé pour être anxiogène et convoquer l’émotion, ne veut rien dire en réalité.
La radioactivité pour les nuls
Un fringant avocat sort de sa BMW et on a droit à la plus belle sottise de l’émission, qui ferait s’étrangler tout ingénieur : « il y a des matières dont la durée de vie est de 4,8 milliards d’années au niveau de la dangerosité ». Non seulement l’activité d’un radionucléide qui a une telle durée de vie est suffisamment faible, mais en plus la substance dont il s’agit est l’uranium 238 qui est uniformément présent dans le sol à une concentration de 3 grammes par tonne. Dans le sol, il est encore plus radioactif que sur le site de stockage, car contrairement à l’uranium appauvri des hangars a subi une purification chimique, l’uranium du sol est accompagné de ses descendants qui émettent un rayonnement plus important.
Défendre l’électricité de nos enfants
L’utilisation de l’uranium appauvri et de l’uranium de retraitement est qualifiée de « mythe » alors que l’uranium de retraitement a été utilisé à la centrale de Cruas et que l’uranium appauvri a fonctionné dans le réacteur Phénix. Et surtout la centrifugation a bouleversé le potentiel de l’uranium appauvri qui peut désormais être appauvri une nouvelle fois en libérant 9 ans d’électricité [1].
Le contresens économique
L’auteur met en parallèle le chiffre de 55 milliards d’euros, chiffres qu’il qualifie « d’astronomique », alors qu’il est inférieur à celui de nos importations d’hydrocarbures sur un an, et le chiffre de 110 milliards pour l’opération de prolongation du parc nucléaire. Un rapide coup d’œil à la publication de la Cour des Comptes aurait permis de vérifier que la différence entre les deux montants résulte en partie de l’inflation ce qui le ramène à 90 milliards d’euros valeur 2010. On a donc une différence entre 55 milliards à 2025 et 90 milliards jusqu’à 2033. De plus l’augmentation de ce montant est dû à la conversion de 13 milliards d’euros de frais de maintenance en frais d’investissement jusqu’à 2025 sans aucun effet sur le coût global.
Il fallait donc comparer 55 +13 = 68 milliards jusqu’en 2025, au chiffre de la Cour des Comptes jusqu’en 2033 de 90 milliards. Pas vraiment de mensonge !
Admettons même qu’il faille 160 milliards d’euros d’investissements pour 75% de notre électricité en 40 ans, cela ne représente qu’une augmentation de 4 milliards d’euros par an ; alors que les surcouts de l’éolien et du photovoltaïque sont déjà de 3 milliards d’euros par an et seront de plus de 6 milliards avec l’éolien marin, comme le montre ce graphique de l’UFC. On voit que même en ne représentant que 6 % de l’électricité, l’éolien et le photovoltaïque sont les plus grands responsables de l’augmentation du coût de l’électricité.
Conclusion
Non seulement aucun des reproches qu’adresse Jean Baptiste Renaud au nucléaire ne tient la route, mais il révèle que les documentaires sont construits à charge et sans aucune vérification à partir d’arguments fournis par des groupes de pression, violant toute éthique journalistique. Comment un tel documentaire a-t-il pu franchir la barrière de la rédaction d’une grande chaîne de télévision ?
Naturellement le documentaire a été signalé par une série de petits sites antinucléaires, il a déclenché une question d’un député EELV à la ministre de l’écologie ; mais surtout le contenu a été repris sans aucune analyse et aucun esprit critique par le journal Le Monde, discréditant une nouvelle fois ce quotidien de référence.
Pour paraphraser le documentaire : le public n’a jamais été informé des failles des journalistes. C’est énergie-crise.fr , qui est une vraie enquête sur un demi-siècle de manipulations
Voir en ligne : lien vers la video du reportage
[1] On pourra consulter les transparents de la conférence La révolution de la centrifugation, Club de Nice. Octobre 2012